Jean Hurpy       travaux 2024

Adam et Eve «  Les origines de la pelle » 

Dans Adam et Ève, l'origine de la pelle, Jean Hurpy réinterprète le mythe des origines sous un prisme résolument postmoderne, explorant la polysémie du mot "pelle" pour tisser un dialogue entre l'intime et le collectif, entre l’iconographie biblique et le langage populaire. Dans cette œuvre, "pelle" ne se limite plus à son acception littérale ; il se déplace vers une symbolique de l’embrassade, renvoyant à une gestuelle qui évoque le désir charnel et la douceur de la première rencontre. Hurpy s'approprie ainsi le récit des origines pour en faire une métaphore des premiers émois, introduisant une lecture à la fois subversive et corporelle de la Genèse.

Le diptyque, dans sa sobriété formelle et son esthétique minimaliste, impose une temporalité suspendue, propre à l’univers d’un monde en devenir. La représentation des corps d'Adam et Ève, réduits à des formes essentielles et tracées par un fin pointillisme, crée une tension entre l'abstraction et la matérialité. Ces corps en suspension s’inscrivent dans un espace flottant, comme figés dans une attente, un moment d’avant l’acte. Par l’usage du pointillisme, Hurpy insuffle aux figures une texture vibratoire qui rappelle l’épaisseur tactile de la chair, tout en évoquant une matérialité du désir. Ce traitement visuel questionne la primauté du langage corporel dans la communication intime, le suggérant comme un vecteur sémiotique primaire, au-delà de la simple verbalisation.

L'encadrement des corps, conçu comme un dispositif de frontière visuelle, participe d’une dialectique de l'interdit et de la transgression. Dans cette perspective, le jardin d’Éden n’est plus seulement un espace sacré ; il devient un lieu de potentialité érotique, un espace de transgression où l'interdit religieux s'entrechoque avec l'intensité de la découverte sensorielle. Le recours à "pelle" pour désigner un baiser accentue la profondeur de ce geste en tant que passage initiatique, un point de bascule entre la singularité de l’individu et la rencontre de l’Autre, entre l’intériorité et l’extériorité.

En manipulant les couches sémantiques de "pelle", Hurpy incite le spectateur à reconsidérer le concept d’amour et de désir, non comme des actions figées dans une structure normative, mais comme des forces vitales, dynamiques, qui sous-tendent les rapports humains. Dans ce diptyque, l'artiste redéfinit le récit de la création, en déplaçant le regard vers le désir et l’intimité comme moteurs de l’humanité. En dénudant le mythe jusqu'à ses gestes les plus élémentaires, Hurpy expose une réflexion sur la nature première de la relation humaine, sur cette première "pelle" qui ne marquerait pas tant la chute que l’émergence d’une humanité complexe, pétrie de désirs et de vulnérabilité.


Elise Fontaine